Le mardi 30 novembre 1954, sous le titre "Pourquoi a-t-il été condamné ?", le journaliste du Dauphiné Libéré, René-Louis Lachat, grand et fin connaisseur de l'Affaire Dominici, revint sur le procès en stigmatisant "ceux qui jugent bien imprudemment que Dominici a été condamné sans preuves". Et de rappeler l'argumentaire de Sabatier :

 

 

Le vendredi 26 novembre 1954, le procureur de la République Louis Sabatier abattit ses cartes : crime de la colère, culpabilité totale, entière, unique, de Gaston Dominici(1) . Sabatier énonça alors ce qu'il considérait comme les dix-sept preuves de la culpabilité de l'accusé.

 

 

1. Gaston déclara à Sébeille, le premier soir : "elle [Lady Drummond] est morte sans souffrir".

2. Gaston déclara qu'il avait trouvé l'éclat de crosse à 9 heures, alors qu'il a été découvert entre 15 et 16 heures, par un autre que lui (le cantonnier Robert Eyroux faisant office de fossoyeur).

3. Gaston se dénonça en allant sans hésitation vers le lieu où était cachée la carabine (sans savoir que ses fils Gustave et Clovis avaient, séparément, avant lui, désigné la même cachette, entre deux planches).

4 Gaston se dénonça en se plaçant au point exact (pour mimer son tir sur Lady Drummond) où deux douilles furent retrouvées.

5. Gaston se dénonça en révélant (deux jours après la tuerie, au capitaine Albert) un détail que personne ne connaissait (la blessure de la fillette à l'oreille).

6. Gaston se dénonça en faisant placer le policier mimant Sir Jack de dos, fuyant (les trois balles dans le dos avaient été tenues secrètes).

7. Gaston se dénonça en indiquant une première balle tirée dans la main de Sir Drummond (point tenu secret).

[Cf. ces remarques du président Bousquet (première journée d'audience, fin d'après-midi) : La petite était à genoux, Dominici, vous l'avez dit : "j'ai levé la carabine, j'ai frappé, la crosse s'est brisée, je me suis lavé les mains, j'ai jeté la carabine dans la Durance et je suis allé me coucher". Vous avez alors donné un détail que vous n'auriez pu connaître : la blessure de Sir Drummond provoquée à la main droite par votre premier coup de feu". [et si l'on tient compte du fait que la balle a été en réalité tirée à distance, alors l'allégation de Gaston - Sir Drummond tenait le canon par la main, le coup est parti - est fausse, et on ne peut plus dire : "c'est un accident"].

8. Gaston se dénonça en indiquant l'emplacement exact (le trou d'eau) où l'inspecteur Ranchin avait retrouvé la crosse de l'U.S.-M1.

9. Gaston se dénonça en indiquant, sans y être invité, l'endroit où il alla laver ses mains rouges de sang.

10. Gaston se dénonça en indiquant qu'il n'avait pas à faire laver son pantalon, qui ne portait aucune trace de sang (Gustave avait fourni le même renseignement, de façon séparée).

[En réalité, lors du procès, Gaston s'est terriblement "coupé", même si son propos n'a malheureusement pas été immédiatement relevé par le Président. Lors de la journée du 23 novembre 1953, après que sa femme "la vieille Sardine" eut déposé (l'envoyé spécial du Parisien libéré remarqua alors : "Le vieux Dominici est d'autant plus ému que sa vieille compagne a bien appris sa leçon et récite d'évidents mensonges pour le sauver"), il l'interpella : "Tu as vu, quand je suis rentré, mon pantalon plein de sang ? Jamais, répondit-elle, il était bien propre de partout". Le Quand je suis rentré est un aveu de taille, on ne l'a pas assez souligné !]

11. Seul des Dominici, Gaston ne connaissait pas le fonctionnement exact de la carabine, et la rechargeait comme un mousqueton, c'est à dire en faisant jouer la culasse après chaque coup tiré

[Personnellement, je fais toutes réserves sur la valeur de cet argument, que j'estime parfaitement erroné. D'autant qu'on n'a jamais demandé à Gustave, à Clovis et à Roger Perrin de montrer leur savoir-faire avec la carabine !].

12. Gaston a donné des précisions sur la bague d'aluminium (ayant servi à réparer ou remplacer l'anneau grenadière), à un moment où on ne parlait que de plaque à vélo.

13. Gaston a indiqué au "Président" (le commissaire Prudhomme, relayant Sébeille) que l'Anglaise avait une robe de nuit à ramages. On ne pouvait connaître ce détail qu'en soulevant le lit de camp.

14. Gaston s'est "coupé" à plusieurs reprises, au cours du procès (entre autres : "avec qui étais-tu dans la luzerne, Gustave, à deux heures du matin ?" Ou : "elle vient pas de loin, cette carabine !").

15. Gaston se dénonça en indiquant au commissaire Sébeille la position exacte des corps, avant la macabre mise en scène (donc, il savait, en plus, qu'il y avait eu mise en scène).

16. Gaston enfin se dénonça en déclarant au même : "Tu as gagné, petit !"

17. Les nombreux aveux proprement dits du 13 novembre 1953), du type : c'est un accident, etc, sept fois répétés [et, il est vrai, cinq fois niés, mais jamais devant le commissaire Sébeille !].

 

[A mon sens, il y aurait eu bien d'autres "preuves", même si Me Louis Sabatier a eu pour conduite de ne prendre en compte que celles fournies par l'assassin lui-même : l'une, "magnifique" si je puis dire, est l'aveu de Gaston au moment où, après son suicide raté, il a échangé son chapeau avec le juge Périès (dans la bagarre, ils avaient perdu tous deux leurs chapeaux, et chacun avait ramassé par inadvertance celui de l'autre) : "Je voulais laver mon honneur" confidence consignée par le juge Périès dans son rapport]

 

 

 


Note

 

(1) Durant son intervention, selon le journaliste du Dauphiné Libéré, "au fond de la salle, on regardait des Dominici ricaner en silence. Et Yvette, ostensiblement, lisait un roman : L'amour vaincra".
Malheureusement, cela ne s'invente pas...

 

 

aster