[Document émanant du syndicat des psychologues scolaires]

 

(emprunté à l'url:www.nordnet.fr/spen/docupag/page56.htm)

 

Extrait d'un écrit de Jean-Jacques Guillarmé

dans la nouvelle revue de l'AIS n°3 (3ème trimestre 1998)

Il s'agissait d'une réponse à une critique positive d'un de ses récents livres, mais n'était-ce pas aussi une réponse fulgurante [sic] à la médiocrité d'un certain rapport Ferrier?

 

[…] Est-ce goût immodéré de l'échange et de la discussion ? Peut-être! Plus sûrement, me semble-t-il, désir de prendre en compte les réflexions critiques lorsqu'elles émanent de professionnels qualifiés; et puis surtout espoir que ces échanges serviront l'AIS, notamment l'aide aux élèves en difficulté si souvent malmenée actuellement par tant d'idéologies réductrices, de certitudes altières et d'anathèmes fulgurants, aussi suspects que ceux que lancent, face au désastre, le doigt vengeur pointé vers les petits porteurs d'actions, les professionnels cyniques de la banqueroute ordinaire.

Il faut en effet être clair et accepter d'appeler un chat un chat aujourd'hui, malgré les textes nationaux bien charpentés et une politique d'intégration scolaire réaffirmée à chaque changement de majorité politique, l'AIS - par pans entiers - s'érode ou se corrode. On en connaît deux principales raisons. La première résulte d'une crise qui associe aux mutations économiques et aux bouleversements politiques du monde, à l'instantanéité de l'information, aux fractures de la vie morale et au gâchis humain entériné par la prévalence de la rentabilité immédiate, une remise en question radicale des processus et des contenus de la formation des hommes. Comme la ville, qui a retrouvé la violence des ruelles et des avenues, la crainte du soir et, parfois, les ghettos, l'école est ainsi conduite à délaisser peu à peu ses marginaux et ses rebelles, à briser progressivement l'intégration républicaine et à ne plus vraiment trouver les mots et les moyens pour traiter, dans les classes, l'hétérogénéité grandissante des élèves.

La seconde raison tient à un décalage désormais trop important (et qui devient insupportable à tous) entre la technicité de plus en plus grande des interventions liées à l'aide spécialisée (indication ; maîtrise professionnelle du cadre d'intervention; méthodologie spécifique de l'échange adulte-enfant ; implication des familles ; processus d'évaluation etc.) et la formation spécialisée initiale, souvent sommaire, parfois diaphane, de trop nombreux " contrôleurs de qualité ". Naturellement, en toute bonne foi pourrait-on dire, ces décideurs projettent alors leurs convictions intimes dans l'examen et l'évaluation individuelle des pratiques et réduisent bien souvent leurs attentes au champ habituel de leurs compétences. Le contrôle de qualité devient alors volontiers, à leurs yeux, simple mesure quantitative, les actions d'aides spécialisées une somme d'interventions parcellaires, éclatées, sans projet préalable et le réseau une addition d'intervenants séparés. La liste des signalements individuels se substitue ainsi à l'effort de prévention, "la réparation scolaire" (utilisant d'ailleurs souvent de façon dramatiquement comique les moyens mêmes qui ont conduit l'élève à l'échec) remplace elle-même l'aide spécialisée, tandis que l'identité professionnelle des différents intervenants s'étiole et se dissout, en suivant le mouvement commun que constitue la relation traditionnelle d'apprentissage. Les "cartes scolaires" de l'AIS ne manquent pas d'ailleurs de révéler, année après année, ces problèmes. Caractérisée par une réduction progressive de la diversité des postes spécialisés - au profit d'emplois paradoxalement délaissés par les personnels qualifiés - elles témoignent, malgré les dénégations, d'une vision univoque de l'équipe fondée sur l'interchangeabilité des rôles plutôt que sur la complémentarité des fonctions. Quel secteur de l'économie, quelle entreprise résisterait à une telle conception ? Et quel responsable pourrait justifier aujourd'hui pareille gestion de ses "ressources humaines" ?

 

Ainsi, tandis que le collège se désespère de ne pas avoir de moyens suffisants pour le suivi de ses élèves, et oriente bien souvent ses emplois jeunes vers l'aide aux plus démunis, l'école élémentaire perd goutte-à-goutte certains aspects de sa modernité, pérennisant, contre sa volonté, l'échec au nom de la lutte traditionnelle contre l'échec et de l'immuabilité rassurante des pratiques coutumières. Faut-il alors vraiment continuer, s'acharner, affiner les questions techniques, approfondir encore un peu le concept d'aide en vue de substituer, enfin, à cette lutte désolante contre l'échec des dispositifs innovants visant d'abord la réussite? Il me semble que oui, que le réseau d'aides spécialisées peut être l'un de ces dispositifs et que l'enseignement ordinaire a tout à gagner dans cette recherche.[…]

 

J.J. Guillarmé

Ancien directeur du Département spécialisé pour l'AIS (IUFM de Paris)
IEN spécialisé
Enseignant au centre de formation continue de l'Université René Descartes Paris V

 

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